Jean Michel Basquiat (éléments d'analyse du tableau de 1981)
"Sans Titre", 1981 (182x122 cm, craie grasse acrylique,collage
Analyse simplifiée de l’oeuvre
Deux parties dominent : une allusion autobiographique flotte au dessus de l' évocation d'un paysage urbain qui est plus exactement une façade d'immeuble aux fenêtres et aux grilles distordues, sur les portes on repère les vestiges de graffitis . Le “regardeur “est invité à chercher des indices , comme des codes urbains ou nomades voir le langage codé des Hobos ( vagabonds) , des mots à double sens comme "tar" ( trad :1/ goudron 2/ sens péjoratif mot à connotation raciste), des montages façon "cut-up" à la manière de Burroughs , des écritures inversées ou miroirs suggérant une pratique picturale horizontale.
Les rimes visuelles abondent, le" AEEOIEEA " , un cri au coin droit , entretient une correspondance avec les mots comme Freshr et OHI ,allusion à l’ambiance hip hop des années 70 .A noter l'importance de" l'image acoustique " que l’on retrouve dans la bande dessinée , l’onomatopée ( l'artiste était amateur de BD) “ sonorise” l”image.
L'ensemble est un carrefour d' influences populaires et d'expériences personnelles, Basquiat joue habilement avec les références artistiques ( par exemple Picasso, Cy Twombly , attention par contre il a toujours démenti connaitre Dubuffet) et culturelles (vaudou, sport, BD, christiannisme, jazz,etc..)
Le choix des couleurs , la chair rose tendre et le noir bitume, crée un contraste énergique. La brutalité du noir est tempérée par des touches volontairement enfantine de craie grasse rouge, jaune et bleue. Le faux aspect puéril ( Basquiat n'hésitera pas à co-signer un tableau réalisé avec l'enfant de son galeriste ) visible par les traces laissées à l'acrylique blanche, n’est pas un manque d'assurance ou de compétence( pensons à la fausse note , "l'improvisation out" dans le jazz ,musique appréciée par l'artiste). Cette apparente maladresse est cohérente avec son autoportrait, avec cette idée de l’innocence artistique émergente ( au sens art brut), son graphisme devient ici une véritable expression corporelle.
Au centre du tableau, une tête sans corps, flottant au milieu des rues , de la fumée noire et de la ville . L’autoportrait se réduit à l’image d’un crâne, à une vanité, à peut être un masque vaudou dont les yeux injectés de sang façon B.D , le nez rouge , le ratelier (de dents ) et les oreilles ridicules composent un visage tragiquement burlesque.Ces signes sont autant d'indices d'un humour grinçant , dialectique de l'autodérision et de la représentation christique. L' auréole barbelée autour de la tête, un motif récurrent chez Basquiat, brouille le symbolisme traditionnel de paix et de vertu .
Cette figure d' épouvantail a un titulus (tel l'acronyme INRI sur la croix du christ) dont les initiales volontairement corrigées sont des références à ces héros noirs américains (musiciens,athlètes ) que l'artiste admirent .. On notera à droite deux couronnes ( "the King "expression familière dans la culture hi hop) esquissées comme deux projectiles ( en retournant le toile, on peut presque y voir l'esquisse d'une arme, hypothèse plausible si l'artiste s'est amusé à tourner autour de sa toile posée au sol, comme les documents cinématographiques de l'époque permettent de le penser)..
Que dire en conclusion ,que ce tableau séduit par les différents niveaux d'interprétation en jouant sur une économie de moyens et de spontanéité : le primitivisme dialogue avec des postures postmodernes ,la spontanéité rime avec des figurations récurrentes , l'attitude d'art outsider tutoie la démarche de Cy Twombly , l'histoire de l'art savant se conjugue avec les codes urbains de groupes sociaux les plus pauvres..